C’est en moment de crise qu’il faut oser de nouveaux paradigmes. Youssef Chraïbi, président d’Outsourcia en est convaincu. Son groupe est le premier à avoir annoncé son intention de maintenir le télétravail de manière définitive. Un mode d’activité aux vertus «inattendues». Les 1.800 collaborateurs d’Outsourcia auront la possibilité de souscrire à cette option. Le spécialiste de la relation client table sur 40 à 50% des effectifs pour commencer.
L’Economiste: Outsourcia a décidé de proposer le télétravail de manière permanente à ses collaborateurs. Cette mesure concerne-t-elle tous vos sites?
Youssef Chraïbi: Oui, en effet, cela concerne l’ensemble de nos collaborateurs sur nos 10 sites de production, dans les 4 pays où nous sommes implantés. Nos opérateurs auront désormais la possibilité, s'ils le souhaitent, d'opter durablement pour le télétravail, même après la fin des restrictions liées à la crise du Covid-19, et cela en prenant certains engagements en termes de qualité, de productivité, et de sécurité des données, pour nos clients qui y sont favorables. Suite à la communication vidéo que nous avons fait parvenir à nos collaborateurs mercredi 20 mai, les premiers retours sont très encourageants. C’est un peu tôt pour être précis, mais nous estimons que 40 à 50% de nos effectifs en production feront ce choix permanent du télétravail.
Quelles sont les activités ne se prêtant pas à ce mode de travail?
Les activités de support s’y prêtent très bien. Les activités de back office, et en particulier de traitement des emails par exemple, s’y prêtent encore mieux, car il s’agit de flux asynchrones. Par ailleurs, les contraintes liées à la nécessité d’avoir un environnement très calme sont levées, contrairement à la gestion des appels. En revanche, les activités de ventes par téléphone sont un peu moins propices à ce mode d’activité, étant donné qu’il y a une réelle émulation liée à l’atmosphère de travail sur un plateau. De même, les animations peuvent être plus efficaces sur site qu’à distance.
De toutes les façons, l’idée n’est donc pas de migrer 100% des activités en télétravail, mais vers un partage harmonieux entre les deux modes de production.
Vous avez déclaré une hausse de productivité grâce au télétravail. Dans quelles proportions?
Nous avons gagné plus de 10 points de marge en quelques semaines. Cela est en grande partie lié à un meilleur dimensionnement de nos capacités de production en fonction des besoins réels et évolutifs de nos clients. La flexibilité horaire sur un site de production est beaucoup moins importante. Les avantages pour nos collaborateurs sont quant à eux innombrables, tant en termes de qualité de vie, de gain de temps, que de réduction de charges de déplacement et de repas. Par ailleurs, nous n’aurons plus de limite au niveau de nos bassins de recrutement. Ainsi, de très nombreuses personnes vivant dans des zones enclavées et qui avaient très peu d’opportunités d’emploi pourront nous rejoindre sans quitter leurs familles. Enfin, les clients qui le souhaitent peuvent bénéficier d’une continuité de service permanente, et d’une très forte flexibilité au niveau de leur production.
Le travail à distance suppose d’équiper vos collaborateurs en outils informatiques, connexion internet, téléphonie… Quel est le surcoût lié à cette opération?
Au Maroc, nous avons déjà équipé 90% de nos collaborateurs en solutions matérielles, logicielles, télécoms et internet, dans le cadre de la crise du Covid-19. Le coût est ainsi plus élevé qu’une position sur un site de production. Nous espérons vivement pouvoir bénéficier d’une aide spécifique à notre secteur dans le cadre des plans de relance actuellement à l’étude.
Certaines entreprises n’osent pas franchir ce pas, car elles craignent de perdre en contrôle, en sentiment d’appartenance... Ces aspects sont-ils gérables pour vous?
En effet, il s’agit de risques qu’il faut anticiper. Nous disposons déjà de tous les outils nous permettant de suivre en temps réel l’assiduité, la productivité et la qualité de traitement de nos agents. Nos collaborateurs sont déjà habitués à percevoir des primes variables calculées sur la base de ces trois indicateurs, représentant environ 25% de leur salaire.
Au niveau de la qualité, le critère le plus important est la mesure de la satisfaction client qui continuera à être effectuée de la même façon, quel que soit le lieu de production. Au niveau du management, nous disposons d’outils de pilotage et de partage à distance ayant prouvé leur efficacité. Il en va de même pour le recrutement et la formation continue.
Néanmoins, pour nous le modèle idéal est de démarrer une immersion sur le site de production de 2 mois environ, avant d’envisager une migration vers du télétravail. De même concernant le sentiment d’appartenance, l’idéal est d’alterner, et de maintenir des rencontres physiques à un rythme hebdomadaire, au minimum mensuel, en complément des pauses-cafés d’équipe, par exemple, avec des solutions de visioconférence qui sont déjà implémentées.
Le moment est-il venu pour les employeurs de revoir, voire même de réinventer leur relation avec leurs collaborateurs?
Je pense que c’est une occasion unique de le faire. Comme toute crise majeure, celle-ci est révélatrice et accélératrice de certaines tendances pouvant devenir de nouvelles normes d'usages, comme le télétravail. Nous sommes convaincus qu'il s'agit d'un nouveau modèle vertueux et nous souhaitons contribuer pleinement et activement à cette nouvelle ère. C’est Churchill qui disait: il ne faut jamais gâcher une bonne crise!
Le «HomeShoring» s’imposera dans le secteur!
A votre avis, les entreprises du secteur seraient-elles nombreuses à opter pour le maintien du télétravail après la crise?
Je suis convaincu qu’il s’agit d’une tendance lourde. Les pays anglo-saxons sont en avance sur cela et ont prouvé l’efficacité du modèle.
Je pense qu’à terme la quasi-totalité des acteurs de notre secteur devront proposer à leurs clients des solutions combinant Onshoring, Nearshoring, Offshoring et HomeShoring. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en place cette offre de télétravail durablement à partir de maintenant.